Les mécanismes à la base du renouvellement de la peau sont encore peu connus. L’interleukine 38 (IL-38), une protéine impliquée dans la régulation des réponses inflammatoires, pourrait changer la donne. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) l’a observée pour la première fois sous forme de condensats dans les kératinocytes, les cellules de l’épiderme. La présence d’IL-38 dans ces agrégats augmente à proximité de la surface de la peau exposée à l’oxygène atmosphérique. Ce phénomène pourrait être lié au déclenchement de la mort programmée des kératinocytes, un processus naturel de l’épiderme. Cette étude, à lire dans la revue Cell Reports, pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour l’étude de l’épiderme humain et des maladies qui l’affectent.
L’épiderme, la couche supérieure de la peau, protège le corps des agressions extérieures. Pour permettre son renouvellement, les cellules souches localisées dans sa couche la plus profonde produisent constamment des kératinocytes. Ces nouvelles cellules sont progressivement poussées vers la surface, se différencient et accumulent des condensats de protéines. Arrivés au sommet de l’épiderme, les kératinocytes subissent une mort programmée, la cornification, pour créer une barrière protectrice de cellules mortes.
«La façon qu’a l’épiderme de constamment se renouveler est bien documentée. Cependant, les mécanismes qui animent ce processus restent encore partiellement méconnus», explique Gaby Palmer-Lourenço, professeure associée à la Faculté de médecine de l’UNIGE et investigatrice principale de l’étude.
Un rôle inattendu
L’interleukine 38 est une petite protéine messagère qui assure la communication entre les cellules. Elle est connue pour ses fonctions dans la régulation des réponses inflammatoires et sa présence dans les kératinocytes était jusqu’alors associée à son rôle dans la préservation de l’équilibre immunitaire de la peau. «Dans les kératinocytes in vivo, nous avons découvert que l’IL-38 forme des condensats, autrement dit des agrégats spécialisés de protéines aux fonctions biochimiques précises, un comportement jusqu’ici inconnu pour cette protéine», raconte Gaby Palmer-Lourenço. Plus étonnant encore, plus les kératinocytes étaient proches de la surface, plus la quantité d’IL-38 dans ces condensats augmentait.
Une réaction au stress oxydatif
Les vaisseaux sanguins s’arrêtent dans la couche cutanée située sous l’épiderme. Par conséquent, la quantité d’oxygène disponible pour les kératinocytes est beaucoup plus faible dans les couches inférieures que dans la partie supérieure de l’épiderme, qui est directement exposée à l’oxygène présent dans l’air qui nous entoure. Cependant, bien qu’il soit nécessaire au bon fonctionnement des cellules, l’oxygène provoque aussi un stress oxydatif en formant des radicaux libres, des molécules réactives qui mettent en danger la cellule. «Or, nos expériences en laboratoire ont montré que le stress oxydatif provoque la création des condensats d’IL-38», confirme Alejandro Díaz-Barreiro, post-doctorant à la Faculté de médecine de l’UNIGE, et premier auteur de l’étude.
«Nos résultats suggèrent qu’à mesure que l’on se rapproche de la surface de l’épiderme, l’augmentation de la concentration en oxygène favorise la formation de condensats de protéines, qui donnent alors le signal aux kératinocytes qu’ils sont au bon endroit pour entrer en mort cellulaire», poursuit Gaby Palmer-Lourenço. Cette hypothèse apporte de nouvelles pistes pour comprendre les mécanismes de renouvellement de l’épiderme. Elle pourrait également ouvrir la voie à une meilleure compréhension des mécanismes pathologiques à l’origine de certaines maladies de la peau, telles que le psoriasis ou la dermatite atopique. Ces questions seront évaluées par le groupe de recherche dans le cadre de travaux ultérieurs.
Contribution à une alternative au modèle animal
Alejandro Díaz-Barreiro travaille déjà sur la prochaine étape: «Dans le modèle que nous utilisions jusqu’alors, les effets du stress oxydatif étaient créés artificiellement dans une seule couche de kératinocytes, un scénario qui diffère de la situation réelle dans la peau. Nous sommes donc en train de développer un nouveau système expériemental qui permet d’exposer de l’épiderme humain reconstitué in vitro à un gradient d’oxygène. Dans ce modèle, seule la surface de l’épiderme sera en contact avec l’air ambiant, alors que les autres couches en seront protégées. Nous pourrons ainsi étudier en détail l’effet du stress oxydatif sur le renouvellement de l’épiderme». En permettant une analyse plus précise des cellules humaines, ce nouveau système offrira une alternative au modèles animaux souvent utilisés pour l’étude de la biologie et des maladies de la peau.