Lorsque deux plaques tectoniques convergent, la plaque subductée plonge dans le manteau terrestre, se réchauffe et libère une grande quantité d’eau. Cette eau abaisse la température de fusion du manteau, qui fond sous haute pression et à des températures supérieures à mille degrés Celsius pour générer des magmas. Le magma liquide étant moins dense que le reste du manteau, il migre alors vers la surface terrestre.
«En raison de la baisse de pression, les magmas remontant vers la surface de la Terre se retrouvent saturés d’un fluide riche en eau, qui est ensuite libéré sous forme de bulles de fluide magmatique», détaille Stefan Farsang, postdoctorant au Département des sciences de la Terre de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et premier auteur de l’étude. Les fluides magmatiques sont donc composés en partie d’eau, mais aussi d’éléments volatils dissous tels que le soufre et le chlore. Ces deux éléments sont cruciaux, car ils extraient l’or, le cuivre et d’autres métaux du liquide silicaté vers le fluide magmatique, et facilitent ainsi leur migration vers la surface.
Plusieurs formes de soufre
Le soufre peut facilement se réduire ou s’oxyder, c’est-à-dire perdre ou gagner des électrons, un processus appelé «oxydoréduction» ou «redox». Les états redox du soufre sont importants, car ils influent sur sa capacité à se lier aux autres éléments, comme les métaux. Or, un débat divise la communauté scientifique depuis plus d’une dizaine d’années: quel est l’état redox du soufre présent dans le fluide magmatique qui mobilise et transporte les métaux?
Zoltán Zajacz, professeur associé au Département des sciences de la Terre de la Faculté des sciences de l’UNIGE et principal coauteur de l’étude raconte: «Un papier séminal en 2011 avait avancé que les radicaux de soufre S3- tenaient ce rôle. Toutefois, les méthodes expérimentales et analytiques présentaient plusieurs limitations, en particulier lorsqu’il s’agissait de reproduire les conditions de pression-température et d’oxydoréduction magmatiques pertinentes, que nous avons maintenant surmontées.»
Révolution méthodologique
L’équipe de l’UNIGE a placé un cylindre de quartz et un liquide de composition similaire au fluide magmatique dans une capsule en or fermée hermétiquement. La capsule a ensuite été placée dans un récipient sous pression, qui a été amené à des conditions de pression et de température caractéristiques des magmas mis en place dans la croûte supérieure de la Terre. «Avant tout, notre installation permet un contrôle flexible des conditions d’oxydoréduction dans le système, ce qui n’était pas possible auparavant», ajoute Stefan Farsang.
Au cours des expériences, le cylindre de quartz est fracturé, ce qui permet au fluide magmatique synthétique de pénétrer dans les fractures. Le quartz emprisonne alors des microgouttelettes de fluide, comme celles que l’on trouve dans la nature, et la forme du soufre qu’elles contiennent peut être analysée à haute température et à haute pression, en utilisant des lasers avec une technique analytique connue sous le nom de spectroscopie Raman. Alors que les expériences spectroscopiques précédentes étaient généralement menées jusqu’à 700 °C, l’équipe de l’UNIGE a réussi à augmenter la température à 875 °C, caractéristique des magmas naturels.
Le bisulfure comme transporteur
L’étude montre que le bisulfure (HS-), le sulfure d’hydrogène (H₂S) et le dioxyde de soufre (SO₂) sont les principales espèces de soufre présentes dans les fluides expérimentaux à des températures magmatiques. Le rôle du bisulfure dans le transport des métaux a déjà été bien documenté dans les fluides dits «hydrothermaux» de plus basse température, qui proviennent des fluides magmatiques de plus haute température. Cependant, on pensait que le bisulfure avait une stabilité très limitée aux températures magmatiques. Grâce à une méthodologie de pointe, l’équipe de l’UNIGE a pu démontrer que, dans les fluides magmatiques également, le bisulfure est responsable du transport de la majeure partie de l’or.
«En choisissant soigneusement les longueurs d’onde du laser, nous avons aussi montré que dans les études précédentes, la quantité de radicaux soufrés dans les fluides géologiques était fortement surestimée et que les résultats de l’étude de 2011 étaient en fait basés sur un artefact de mesure, mettant ainsi un terme à ce débat», déclare Stefan Farsang. Les conditions naturelles menant à la formation d’importants gisements de métaux précieux sont désormais clarifiées. Étant donné qu’une grande partie de la production mondiale de cuivre et d’or provient de gisements formés par des fluides d’origine magmatique, cette étude peut contribuer à leur exploration en ouvrant des perspectives importantes pour la compréhension de leur formation.