Les protéines, véritables piliers du fonctionnement cellulaire, s’assemblent souvent en «complexes» pour remplir leurs fonctions. Une étude de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Institut Weizmann, en collaboration avec le Technion, révèle pourquoi, dans certains cas, cet assemblage commence dès la fabrication des protéines. Ces interactions précoces concernent des protéines dont la stabilité dépend de leur association avec un partenaire. Elles s’apparentent à un couple où chaque partenaire soutient l’autre. Ce modèle ouvre la voie à de nouvelles stratégies pour comprendre et corriger les erreurs d’assemblage, souvent à l’origine de pathologies graves telles que les troubles neurodégénératifs et certains cancers. Ces travaux sont à découvrir dans la revue Cell.
Les protéines sont de grosses molécules formées d’une chaîne plus ou moins longue d’acides aminés. Elles sont produites par une «machinerie» cellulaire – le ribosome – qui lit les instructions portées par les ARN messagers. Une fois la protéine formée, les interactions entre les acides aminés forcent la chaîne à se replier sur elle-même et à adopter une structure propre. Si certaines protéines fonctionnent de manière indépendante, beaucoup doivent s’assembler en complexes avec d’autres protéines pour remplir leurs rôles.
La formation de ces complexes est un processus délicat. Si les protéines ne parviennent pas à trouver leur partenaire ou se replient mal, cela peut entraîner un dysfonctionnement cellulaire et des pathologies, telles que la maladie d’Alzheimer ou certains cancers. Jusqu’à très récemment, les scientifiques pensaient que les protéines ne formaient des complexes qu’après avoir été entièrement synthétisées (assemblage post-traductionnel).Cependant, une étude récente a montré que l’assemblage entre protéines naissantes – l’assemblage co-traductionnel – est très répandu. Cette étude avait permis de lister des milliers de protéines concernées, sans pour autant identifier les couples de protéines ainsi formés, ou bien les signatures moléculaires sous-jacentes à leur reconnaissance précoce.
Des milliers de structures protéiques analysées
Le groupe dirigé par Emmanuel Levy, professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire et cellulaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE – auparavant professeur à l’Institut Weizmann – en collaboration avec le groupe du Prof. Ayala Shiber au Technion, s’intéresse aux principes fondamentaux qui régissent l’auto-organisation des protéines. Autrement dit, ces scientifiques cherchent à identifier les lois générales de leur assemblage. Pour cette étude, l’équipe a analysé une liste de protéines impliquées dans l’assemblage co-traductionnel. En comparant leurs structures à celles des protéines qui s’assemblent après la traduction, elle a pu établir des différences fondamentales entre ces deux mécanismes.
«Grâce à nos analyses bio-informatiques, nous avons compris que les protéines qui s’associent à leur partenaire, alors qu’elles sont en cours de fabrication, sont celles dont la structure n’est pas stable lorsqu'elles sont seules. Ces protéines sont dépendantes de leur partenaire car elles sont dégradées rapidement, si elles ne sont pas associées en complexes dès leur fabrication», explique Saurav Mallik, chercheur à l’Institut Weizmann et co-premier auteur de l’étude.
Un modèle prédictif
«Grâce à cette approche, nous avons développé un modèle basé sur les données structurales connues expérimentalement et complétées par celles prédites via le logiciel d’intelligence artificielle AlphaFold. Sur la base de la structure d’un complexe, nous avons pu prédire l’assemblage co- ou post-traductionnel des protéines associées», poursuivent Johannes Venezian et Arseniy Lobov, respectivement chercheurs au Technion et à l’Institut Weizmann, co-premiers auteurs de l’étude. Les scientifiques ont notamment découvert que, dans ces protéines en cours de fabrication, les sites de liaison sont exposés dès le début du processus de synthèse pour permettre à la protéine de s’attacher à son partenaire peu après son émergence du ribosome.
Ces prédictions ont été validées à l’aide de données expérimentales ciblées sur plusieurs protéines. «Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension de l’assemblage des protéines dans les cellules. Ils mettent en évidence l’impact global de la structure des protéines sur la régulation de leur fabrication», se réjouit Emmanuel Levy. De nombreuses maladies, y compris les troubles neurodégénératifs et certains cancers, sont liées à des protéines mal repliées ou à des complexes défectueux. En comprenant les règles de l’assemblage co-traductionnel, les scientifiques pourraient mettre au point des stratégies pour prévenir ces erreurs et concevoir de nouvelles approches thérapeutiques pour les corriger.