Les magnétars forment une famille d’étoiles à neutrons arborant les champs magnétiques les plus intenses de l’Univers. Ces objets, d’une densité inouïe, sont centraux dans le paysage des phénomènes extrêmes, comme les hypernovae, les sursauts radio rapides ou les sursauts gamma. Cependant, l’origine des magnétars reste peu claire. Une équipe internationale, incluant l’Université de Genève (UNIGE), a reproduit pour la première fois la formation et l’évolution d’un magnétar en utilisant des simulations numériques. Cette avancée de premier plan dans la compréhension de ces astres est à découvrir dans le journal Nature Astronomy.
À la fin de leur vie, les étoiles dont la masse est huit fois plus grande que celle du Soleil voient leur noyau s’effondrer sur lui-même à cause de la gravité. Cet événement marque le début de l’explosion de l’étoile en supernova : ses couches externes sont expulsées, tandis que le noyau se contracte très violemment, formant une étoile à neutrons. Cet astre est l’objet connu le plus dense de l’Univers: une cuillère à café d’étoile à neutrons pèse un milliard de tonnes, soit 100 000 Tour Eiffel!
Même si les étoiles à neutrons sont habituellement observées en ondes radio, certaines d’entre elles émettent de puissantes flambées en rayons X et gamma. Elles sont communément appelées «magnétars», car leurs émissions proviendraient de la dissipation de champs magnétiques extrêmes, un million de milliards de fois plus intenses que ceux de la Terre!
Le mystère de l’origine des magnétars
Comme les champs magnétiques des magnétars jouent un rôle crucial dans les phénomènes lumineux qui leur sont associés, les scientifiques essaient de comprendre l’origine de ces champs. Plusieurs théories ont été proposées, mais la plus prometteuse est la génération des champs magnétiques par effet dynamo dans la proto-étoile à neutrons, donc juste après le début de l’explosion.
«L’effet dynamo permet à un fluide conducteur, comme un plasma, ayant des mouvements assez complexes d’amplifier et de maintenir son propre champ magnétique contre les effets de diffusion, qui l’affaiblissent. Cet effet d’amplification est sûrement à l’origine de la majorité des champs magnétiques astrophysiques, comme ceux du Soleil ou de la Terre», explique Paul Barrère, post-doctorant au Département d’astronomie de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et second auteur de cette étude. «Contrairement aux autres, cette théorie est soutenue par un grand nombre de simulations numériques.
Nouveau scénario de formation des magnétars
Beaucoup de ces dynamos nécessitent des rotations rapides du noyau de l’étoile progénitrice pour être efficaces. Cependant, ces vitesses de rotation sont mal connues, par manque d’observations. Paul Barrère et les chercheurs Jérôme Guilet et Raphaël Raynaud du Département d’Astrophysique du CEA Saclay ont donc étudié un scénario alternatif. Il postule que la rotation de la proto-étoile à neutrons est accélérée par une partie de la matière initialement éjectée lors de la supernova, qui retombe sur la surface de l’astre. «Cela permet, notamment, d’avoir un scénario de formation ne dépendant plus de la rotation de l’étoile progénitrice», indique Paul Barrère.
Le mécanisme privilégié pour amplifier le champ magnétique dans cette proto-étoile à neutrons est un type particulier de dynamo, dite de Tayler-Spruit: «Ce mécanisme se nourrit de la variation de la rotation dans l’astre et d’une instabilité du champ magnétique. Cette dynamo est bien connue des chercheurs et chercheuses travaillant sur les étoiles, car elle pourrait expliquer la rotation lente de leur noyau», précise le chercheur.
Simuler l’évolution du magnétar
Malgré sa pertinence, ce nouveau scénario ne s’attarde que sur les premières secondes après la supernova, ce qui est très court comparé à l’âge des magnétars observés. La collaboration avec des scientifiques des universités de Newcastle et de Leeds, spécialistes de l’évolution des étoiles à neutrons, a donc permis de produire la première simulation numérique de l’évolution, sur une échelle de temps d’un million d’années, d’une étoile à neutrons arborant un champ magnétique initial complexe, produit par la dynamo de Tayler-Spruit. «La combinaison de nos expertises a permis de faire, pour la première fois, le lien entre nos études de formation dans une proto-étoile à neutrons et les recherches sur l’évolution des étoiles à neutrons plus évoluées», déclare Paul Barrère.
L’étoile à neutrons simulée dans cette étude reproduit les caractéristiques observationnelles des magnétars dits à champ faible, découverts en 2010. Ces magnétars possèdent des dipôles magnétiques de dix à cent fois plus faibles que ceux des magnétars classiques. Cette étude démontre donc que ces magnétars sont certainement formés dans des proto-étoiles à neutrons accélérées par accrétion de matière de la supernova et dans laquelle la dynamo de Tayler-Spruit opère.
«Notre travail constitue une percée importante dans la compréhension des magnétars et ouvre de nouvelles perspectives très intéressantes dans l’étude des autres effets dynamos. En effet, nos résultats suggèrent que chaque type de dynamo laisse son empreinte dans la configuration complexe du champ magnétique et donc sur l’émission directement observée des magnétars. Tandis que la dynamo de Tayler-Spruit est associée aux magnétars à champ faible, nous espérons pouvoir identifier, dans le futur, les mécanismes associés aux autres magnétars», conclut Paul Barrère.