Notre peau et nos muqueuses sont protégées par des cellules épithéliales. Ce tissu «barrière» remplit sa fonction grâce à des structures spécialisées appelées «jonctions». Elles assurent la cohésion cellulaire et régulent les échanges dans l’espace entre les cellules. Des chercheuses de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’Université nationale de Singapour (NUS) et l’Institut de chimie physique (IPC) de Göttingen, ont étudié le rôle d’une protéine spécifique, la gamma-actine, dans l’organisation et la mécanique des cellules épithéliales et de leurs jonctions. Leurs travaux, publiés dans Nature Communications, révèlent un mécanisme d’interdépendance des différentes formes de protéines du cytosquelette que sont l’actine et la myosine, et leur fonction. L’équipe démontre également un rôle clé de la gamma-actine dans la rigidité des membranes cellulaires et la dynamique des protéines de jonction, un mécanisme potentiellement impliqué dans la surdité.
L’épithélium est un tissu fondamental qui recouvre la surface du corps et tapisse l’intérieur de nombreux organes. Composé de cellules épithéliales solidement liées entre elles, il joue un rôle crucial de protection face aux agressions extérieures, comme celles des agents pathogènes.
Cette fonction repose en grande partie sur la présence de «jonctions adhérentes» et de «jonctions serrées», véritables verrous protéiques reliant les cellules voisines et assurant ainsi l’étanchéité des tissus. Les jonctions serrées régulent le passage des molécules vers l’intérieur et l’extérieur des organes. Par exemple, elles facilitent l’absorption des nutriments dans l’intestin et participent à la filtration des substances au niveau des reins.
Le laboratoire de Sandra Citi, professeure associée au Département de biologie moléculaire et cellulaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE, s’intéresse à la manière dont les jonctions serrées interagissent avec le cytosquelette – l’armature interne des cellules – afin de réguler l’architecture cellulaire, mais aussi les diverses fonctions exercées par l’épithélium.
Une explication à la perte d’audition?
Dans une étude récente, l’équipe de Sandra Citi a analysé le rôle de la gamma-actine - un des constituants du cytosquelette - dans l’organisation des jonctions entre les cellules et a découvert qu’en son absence une autre forme de l’actine, la beta-actine, est produite en plus grande quantité, et ceci dépend de l’augmentation d’une variété de myosine. «Ces changements rendent la membrane apicale – soit le sommet de la cellule - plus souple et certains composants des jonctions serrées plus mobiles, sans toutefois affecter la barrière formée par ces jonctions», explique Marine Maupérin, post-doctorante au Département de biologie moléculaire et cellulaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE et première auteure de l’étude.
La gamma-actine confèrerait donc une rigidité accrue à la membrane apicale en formant un réseau de filaments plus solide et rigide que celui constitué de filaments de beta-actine. «Ce résultat est particulièrement intéressant car la rigidité de la membrane apicale est essentielle pour la fonction auditive», précise Sandra Citi qui a dirigé ces travaux.
En effet, les souris déficientes en gamma-actine présentent une altération de l’architecture de la surface apicale des cellules épithéliales et une perte progressive de l’audition. Une membrane corticale plus rigide pourrait être nécessaire pour résister aux stimulations mécaniques constantes auxquelles les cellules ciliées, qui tapissent l’oreille interne, sont exposées. L’étude plus précise du rôle de la gamma-actine dans le maintien de l’intégrité des cellules pourrait ainsi aider à comprendre les pathologies de la perte auditive, par exemple.