Le Quart Vide (Rub al-Khali), immense désert de la péninsule Arabique, n’a pas toujours été une étendue aride. Une récente étude menée par l’Université de Genève (UNIGE), l’Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST) en Arabie Saoudite, l’Université Griffith en Australie, le California Institute of Technology, l’Université du Texas et l’Université de la Vallée de Fraser au Canada, révèle qu’il abritait autrefois un vaste lac et des rivières. Ces conditions favorables ont permis l’épanouissement de prairies et de savanes, facilitant la migration humaine jusqu’au retour de la sécheresse, qui a contraint les populations à se déplacer. Ces travaux, publiés dans Communications Earth & Environment, éclairent l’impact des cycles climatiques sur les paysages et les sociétés humaines.
Le Quart Vide, ou Rub al-Khali en arabe, est l’un des plus vastes déserts du monde. Occupant près de 650 000 kilomètres carrés, principalement sur le territoire de l’Arabie saoudite, il domine la péninsule Arabique avec des dunes pouvant s’élever jusqu’à 250 mètres. Cette étendue ininterrompue de sable, très aride, n’a pas toujours été aussi inhospitalière. C’est ce que révèle la récente étude d’une équipe internationale pilotée par l’UNIGE.
«Nos travaux mettent en évidence la présence d’un ancien lac, qui a atteint son apogée il y a environ 8000 ans, de rivières et d’une grande vallée formée par l’eau», explique Abdallah Zaki, premier auteur de l’étude, ancien chercheur à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement de la Faculté des sciences de l’UNIGE et au California Institute of Technology, actuellement chercheur postdoctoral à la Jackson School of Geosciences de l’Université du Texas.
Un lac de 42 mètres de profondeur
Ces points d’eau sont apparus durant l’«Arabie verte», une période de fortes précipitations qui s’est étendue de moins 11000 à moins 5500 ans, à la fin de l’ère quaternaire. «On estime que le lac était massif, mesurant 1 100 km2 – soit près de deux fois la surface du Lac Léman – et 42 m de profondeur. En raison de l’augmentation des précipitations, il a fini par céder, provoquant une grande inondation et creusant une vallée de 150 km de long dans le sol du désert», détaille Sébastien Castelltort, professeur en processus de surface à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement de la Faculté des sciences de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux avec Abdallah Zaki côté UNIGE.
Sur la base de sédiments et de reliefs tracés sur une distance de 1000 km, les scientifiques estiment que les fortes pluies, qui ont alimenté ces anciens points d’eau, proviennent de l’expansion vers le nord des moussons africaines et indiennes. Ces phases humides, liées aux cycles orbitaux, ont varié en durée selon les régions: plusieurs millénaires au sud contre quelques siècles au nord. Elles ont favorisé la formation de prairies et de savanes, facilitant ainsi l’expansion humaine dans la péninsule Arabique.
Impact humain
«La formation de paysages lacustres et fluviaux, ainsi que de prairies et de savanes, aurait conduit à l’expansion des groupes de chasseurs-cueilleurs et des populations pastorales dans ce qui est aujourd’hui un désert sec et stérile. La présence d’abondantes preuves archéologiques dans le Quart Vide et le long de ses anciens réseaux de lacs et de rivières le confirment», indique Michael Petraglia, professeur à l’Australian Research Centre for Human Evolution de l’Université Griffith. Il y a 6 000 ans, cette région a connu une forte baisse des précipitations, ce qui aurait créé des conditions sèches et arides, forçant ces populations nomades à se déplacer vers des environnements plus hospitaliers.
Ces résultats soulignent le rôle crucial qu’une mousson africaine a joué dans la transformation rapide du paysage dans le désert de la péninsule Arabique, comme dans les mouvements de population. Ce récit des perturbations climatiques et des migrations humaines, inscrit dans les roches et les paysages, est fondamental pour comprendre et prévoir les conséquences possibles du changement climatique actuel.